La pilote auvergnate a trouvé sa place

Fille et sœur de pilotes de renom, Estel Bouche a longtemps hésité avant de s’installer derrière le volant, estimant qu’elle n’avait peut-être pas les compétences pour prétendre à une place parmi les Montagnards. Que ceux qui ont su la convaincre du contraire soient remerciés ! Sa place… Estel l’a définitivement trouvé au sein d’un peloton de Formule Renault, au sein duquel elle peut faire aujourd’hui douter les animateurs les plus aguerris.

Dans les traces de son père et de son frère
Durant les années 80, Gérard Bouche fut un animateur constant des épreuves auvergnates, ce qui lui vaudra d’être couronné à plusieurs reprises Champion d’Auvergne. Estel, sa fille, suivait bien évidemment son père sur les courses de côte. Mais impressionnée par les bruits des moteurs des monstres mécaniques, Estel n’imaginait alors absolument pas se retrouver un jour au départ d’une épreuve. Ce n’est qu’à l’adolescence qu’elle commençait à s’intéresser de plus près à la compétition, pour mieux comprendre ce qui passionnait à ce point son papa : « J’étais alors ravie de le voir assouvir sa passion, contente de ses résultats, mais si la peur du bruit diffusé par les moteurs avait disparu, j’avais alors l’appréhension de l’accident », confie Estel.

Si elle suivait alors les prestations de son père, Estel restait toutefois éloignée des courses, parvenant difficilement à combattre ses craintes. La curiosité et l’envie de partager ses moments l’emportaient parfois, ce qui lui vaudra de faire quelques apparitions sporadiques sur les épreuves.

On le sait, la passion est souvent contagieuse, et les prestations de Gérard Bouche n’allaient pas manquer d’inciter son fils, Benoit, à prendre la relève de son père. C’est en compagnie de Yannick Latreille, le compagnon d’Estel, que Benoit allait débuter sa carrière. Aux débuts des années 2000, au sein du Team Chrono-Montagne créé par Gérard Bouche, les deux hommes s’alignaient au départ des épreuves de leur Auvergne natale et des régions limitrophes : « A partir du moment où mon frère et Yannick ont commencé à courir, j’ai été plus présente sur les épreuves. Ils ont débuté ensemble au volant d’une BMW qu’ils avaient préparée et avec laquelle ils évoluaient en doublon », se souvient-elle. « Par la suite Yannick a continué avec la BMW, alors que Benoit s’est tourné vers la monoplace. »

Les week-ends passés sur les courses permettaient à Estel de partager avec Benoit et Yannick des moments d’une rare complicité. Plus qu’une équipe, le Team Chrono-Montagne est un clan, au sein duquel règne une parfaite connivence, ce qui bien évidemment ne pouvait qu’inciter Estel à suivre le chemin tracé par son père et son frère : « L’envie était là, mais j’étais persuadé que je n’avais pas les compétences requises », avoue humblement Estel. « Je ne voulais pas laisser à penser que si je courais, c’était uniquement dû au fait que j’étais une fille de pilote. D’autant plus que mon père n’était plus là, et que je ne voulais pas entendre des remarques désobligeantes. »

A l’initiative de son beau-père qui allait lui offrir un stage de pilotage en Formule Campus, Estel allait se rendre, en toute discrétion, sur le circuit du Bourbonnais : « Là, j’ai eu un déclic. L’envie de courir a été la plus forte, et j’ai totalement fait abstraction de ce que les gens pouvaient penser. »

La course de côte, une évidence
La question ne se posait même pas en ce qui concerne le choix de la discipline, la course de côte était une évidence. En 2013, Estel décidait donc de suivre Yannick et Benoit pour disputer huit manches du Championnat de France de la Montagne. Des débuts difficiles pour la pilote auvergnate, qui allait d’entrée de jeu connaitre les aléas de la course : « A Bagnols-Sabran, lors de ma toute première épreuve, je suis sortie de la route et j’ai eu le sentiment de m’être trompée, de ne pas être à ma place. J’étais d’autant plus peinée que je savais que les garçons m’avaient préparé une très bonne voiture, et j’ai alors eu le sentiment de trahir leur confiance. »

Il faudra toute la conviction de Yannick et de Benoit pour rassurer Estel et lui faire retrouver la confiance : « J’ai appris à ne pas me lancer en course bille en tête, à savoir gérer, à faire preuve de raison. » A l’issue de cette première saison, Estel pouvait avoir la satisfaction d’avoir réussi son apprentissage : « En visionnant mes caméras embarquées, j’ai pu me rendre compte que j’avais progressé au fil des épreuves. Je me battais avant tout contre moi-même, sans vraiment tenir compte des chronos, et le fait de prendre conscience de mes progrès ne pouvait que me satisfaire. »

Une dizaine d’épreuves seront inscrites au calendrier d’Estel Bouche pour la saison 2014. Alternant manches du Championnat et Course de Côte régionales, Estel allait améliorait encore ses chronos : « Ma première saison sera celle de l’apprentissage, la seconde devait être celle de la progression, et j’avoue avoir été très contente de me qualifier pour la Finale alors que je ne m’y attendais pas. »

Une finale disputée à Limonest, et sur laquelle elle se classait deuxième féminine : « Cette qualification étant inattendue, je me suis m’y une pression monumentale, que je n’ai pas su gérer », avoue-t-elle en toute franchise. « J’ai complètement loupé mes trois montées de course, sans parvenir à rééditer mon chrono de l’année précédente à Limonest, quand l’épreuve était inscrite au calendrier du Championnat. J’avais autour de moi tellement de monde qui y croyait, que j’ai eu du mal à gérer. »

Un mal récurrent pour Estel qui, discrète par nature, a quelques difficultés lorsque les projecteurs sont braqués sur elle. Le problème aurait d’autant pu s’accentuer que, compte tenu des excellents résultats enregistrés cette saison 2015, les regards ne manquaient pas de se tourner vers elle. Mais ses progrès ont également permis à Estel d’acquérir de la confiance, et d’assumer la légitimité dont elle doutait. Ce qui a eu pour effet d’amoindrir la pression : « En fait, j’ai toujours tendance à me mettre la pression, non pas pour moi-même mais pour les autres. J’ai besoin de bien faire pour ceux qui m’entourent, de ne pas les décevoir », reconnait-elle. « En ce qui me concerne, je me fais plaisir au volant, et cela me satisfait pleinement. Mais j’ai souvent envie de faire plaisir aux autres, notamment à Yannick et Benoit, et c’est cela qui me pousse à attaquer plus fort. Ils préparent ma voiture, font tout pour m’aider, pour me faciliter les choses. J’estime que la meilleure façon de les remercier et de signer de bons chronos, de répondre à leurs attentes, alors que finalement ils n’attendent rien de particulier, et qu’ils sont satisfaits de ce que je fais. »

Premiers podiums en Formule Renault
Pour tout le monde, y compris pour Estel Bouche, les choses étaient assez claires en début de saison 2015. Du côté des Formules Renault, le championnat allait se scinder en deux, avec d’un côté trois garçons qui allaient en découdre et d’un autre, trois filles qui rivaliseraient entre elles… Il n’en sera rien, ces dames ayant décidé de venir perturber la hiérarchie initialement prévue.

« L’objectif était d’améliorer mes chronos par rapport à l’an dernier, sans jamais pensé que je pourrais être en mesure de me rapprocher des garçons », avoue Estel. « L’arrivée des filles, Sarah (Louvet) et Charlie (Martin) m’a conforté car pour être honnête, j’avais du mal à trouver ma place. Cécile (Cante) n’était plus là, Martine (Hubert) est intouchable. Avec l’intégration en Formule Renault de Sarah et Charlie, je me suis dit que j’avais le droit d’être là. La confrontation entre nous trois a créé une véritable émulation qui, je pense, nous a été bénéfique. »

A Bagnols-Sabran, pour le coup d’envoi de la saison, c’est une Estel Bouche sereine qui s’installait derrière le volant de sa Tatuus : « Je ne m’étais fixé aucun objectif précis, et de ce fait j’abordais les choses avec une certaine décontraction. Je n’apprécie que modérément le tracé de Sabran, et j’ai du mal à être en confiance sur cette épreuve. J’étais avant tout là pour rouler, pour retrouver mes marques », avoue celle qui repartira de Bagnols avec la Coupe des Dames en poche.

On retrouvait ensuite Estel à Abreschviller, ou elle se classait quatrième des Formule Renault : « Cela me satisfait, car je n’étais pas très loin du podium. » Après l’épreuve lorraine, c’est en Normandie, sur la Course de Côte d’Hébécrevon, qu’Estel montait sur le podium de la Formule Renault, en accrochant la troisième place : « C’était la première fois que je courrais à Hébécrevon. J’ai eu du mal avec ce tracé si spécifique. Heureusement, j’ai pu bénéficier de l’aide de Nico (Schatz), avec qui j’ai reconnu, sinon je pense que ça aurait été vraiment compliqué pour moi. »

Sur la Course de Côte de La Pommeraye, Estel viendra s’immiscer dans la lutte que se livraient les garçons, pour finalement accrocher la deuxième place derrière Antoine Betzel : « J’espérais que la pluie ne vienne pas perturber les débats. C’est resté sec et je suis vraiment super contente du résultat. »

Estel ne cache pas son affection pour le tracé des Beaujolais-Villages : « C’est ma course préférée, et même dans le cas où le chrono n’est pas au rendez-vous, je m’éclate sur ce tracé », reconnait-elle. « Je termine quatrième, après une belle bataille avec Régis (Tref), ce qui a de quoi me satisfaire pleinement. »

Dunières allait permettre à Estel de renouer avec le podium, en se classant troisième, à 372 millièmes de Régis Tref : « Que ce fut dur ! J’ai mal géré le dernier virage, et j’ai vraiment failli casser la voiture à l’arrivée. En fait, Yannick a changé ma boîte de vitesses samedi soir parce que j’étais au rupteur. Dimanche, au lieu de me concentrer sur la piste, j’ai essayé d’aller au rupteur, en sixième, pour voir jusqu’où pouvais aller l’auto, en oubliant bêtement l’arrivée. Par miracle c’est passé, mais je me suis fait vraiment peur », avoue-t-elle dans un éclat de rire.

C’est un énorme plateau qui attendait Estel au Mont-Dore, pour sa course à domicile. Cela n’empêchera pas la pilote auvergnate d’accrocher une nouvelle fois la quatrième place de la Formule Renault : « Je n’aime pas la pluie, et samedi, sur un tracé humide, je me fais largement devancer. La chance a voulu qu’il ne pleuve pas le dimanche, et je m’en sors plutôt bien. »

C’est à Chamrousse qu’Estel allait terminer sa saison dans le cadre du Championnat de France : « C’était compliqué parce que sur ce parcours aussi large, je n’arrive pas à trouver mes marques. Mais malgré tout j’améliore mon chrono, et mes passages à certains endroits me satisfont. »

De très bons résultats en régional
En dehors du Championnat, on a pu voir cette saison Estel Bouche sur la Course de Côte de Courpière, où Yannick Latreille s’imposait et où elle terminait treizième au scratch, deuxième féminine à deux dixièmes de Sarah Louvet : « On s’est très bien amusée », avoue Estel. Au mois de Juillet c’est à Durtol-Orcines que Yannick allait chercher un nouveau succès, pendant qu’Estel s’imposait en Formule Renault en accrochant la huitième place au scratch : « On n’était pas très nombreux, le résultat n’est pas vraiment révélateur », dit-elle en toute modestie.

Pour conclure sa saison, Estel disputait la Course de Côte du Circuit de Bresse. Un rendez-vous très particulier, puisqu’il lui permettait de partager sa Formule Renault avec Benoit, son frère : « C’est presque le plus beau moment de ma saison. De pouvoir permettre à mon frère de rouler, de partager le volant avec lui, ce fut un moment fort, exactement ce qu’il me fallait. »

Le partage comme principale motivation
Bien évidemment, Estel ne peut être que satisfaite de sa saison 2015 : « Je me suis rendu compte au fil des courses que je progressais. Je l’ai notamment ressenti dans le regard de certains pilotes, qui ne me considérait plus comme une sympathique animatrice de la Formule Renault, mais comme une adversaire », analyse-t-elle. « C’est finalement ce qui m’a fait le plus plaisir. Même si je reste derrière les garçons, le fait de les avoir surpris me satisfait pleinement, ça me permet de me dire que je suis parvenue à ce que je voulais faire. »

« J’ai beaucoup apprécié la saine confrontation entre filles. J’ai eu l’occasion d’échanger mes impressions, notamment avec Sarah, et ces discussions où nous nous disions en toute franchise ce que nous pensions l’une de l’autre, nous a aidé et bien évidemment rapproché. » Malgré tout, Estel ne peut être totalement comblée, un petit bémol l’empêche de savourer pleinement ses instants : « Je serais vraiment satisfaite si étions trois à rouler au sein du team. Dès que mon frère sera de retour, là je serai totalement comblée. »

On l’a dit, le Team Chrono-Montagne est un clan, et l’important pour Estel, au-delà du résultat, c’est de pouvoir partager avec ses proches ces moments de doutes, d’émotions, de joie : « J’ai besoin d’être entourée. Si j’ai voulu courir, c’est aussi pour pouvoir partager ces moments avec Yannick et Benoit, et le fait que mon frère ne soit pas avec nous créé un manque. A Bagnols, où Yannick ne courrait pas non plus, je me suis retrouvée seule sous la structure, et je me suis demandée ce que je faisais là. J’ai vraiment besoin de partager, et leurs présences à mes côtés m’est indispensable. »

D’ailleurs, à l’heure de remercier ceux qui l’ont aidé, Estel ne veut oublier personne : « Je remercie mes sponsors et amis l'Entreprise Bernard Bonnaigue à La Bourboule, le Château de Murol, la Brasserie "Chez Mickey" au Lac Chambon, la Pizzéria "Le Tremplin" au Mont-Dore, LB Menuiseries et Super U à La Pommeraye, la ville de Murol et Motul qui m'aident beaucoup depuis mes débuts. Je remercie par-dessus tout ma petite famille, sans qui rien ne serait possible : Yannick mon pilote préféré !, mes "super-cousines" Perrine et Carole, Eric la Goupille, mes filles Géraldine et Matilde, ma maman et mes beaux-parents Alain et Nicole qui transportent la Formule Renault à chaque course. J'envoie également une grosse bise à toutes les filles de la course pour cette belle bagarre, et à toutes les personnes qui nous suivent de près, de loin et de très loin... »

Que les supporters du Team Chrono-Montagne soient rassurés, on devrait l’an prochain retrouver Estel Bouche sur les manches du Championnat de France de la Montagne : « Logiquement je serai là, au volant de la Formule Renault, avec l’espoir de faire aussi bien et pourquoi pas mieux. »


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